David Harris à la Commission pour les Affaires Etrangères du Sénat US, octobre 2003

Témoignage sur l'antisémitisme en Europe
David A. Harris
Directeur exécutif
Comité Juif Américain

Présenté devant la Sous-commission pour les Affaires Européennes
de la Commission du Sénat américain pour les Affaires Etrangères
Washington, D.C.
22 octobre 2003

  1. Je suis un partisan résolu des relations transatlantiques. J'ai vécu, étudié et travaillé une bonne partie de ma vie en Europe, y compris lors d'une année sabbatique en Suisse en 2000-2001. Je suis parfaitement conscient des questions qui séparent quelques gouvernements européens et quelques groupes importants dans l'opinion publique européenne des points de vue prédominants parmi les Américains. Mais en même temps, je crois que ce qui nous unit est bien plus important que ce qui nous divise. Les seuls qui bénéficient de nos divisions actuelles sont nos adversaires communs.

    Bien que je ne minimise pas ces différences de politiques, je rechercherai toujours les moyens de maintenir des liens forts et solides de part et d'autre de l'océan. C'est dans cet esprit que j'ai le plaisir d'annoncer que le Comité juif américain, qui a déjà des bureaux à Berlin, Genève et Varsovie, va ouvrir à l'automne un Institut transatlantique à Bruxelles.

  2. L'Islam radical est notre adversaire commun principal. Permettez-moi de souligner que je ne parle pas d'une religion toute entière, mais de ceux qui détourneraient une religion au service de leurs objectifs personnels.

    Ne nous y trompons pas. Pour les islamistes, comme ils s'appellent, l'ennemi est le soi-disant infidèle, c'est-à-dire tous les non musulmans. Ils ne cachent pas leurs opinions. Au contraire, ils les expriment de manière très explicite.

    Il suffit de lire les livres de classe utilisés dans les écoles saoudiennes, ainsi que nous l'avons fait, pour comprendre qu'on enseigne aux enfants dès leur plus jeune âge à haïr l'occident, à mépriser le christianisme et le judaïsme, et à se méfier de tous les non musulmans.

    Il suffit de lire ce qui est enseigné dans les madrasas, les écoles religieuses, au Pakistan, où près d'un million d'enfants apprennent ces mêmes principes, avec en plus, les splendeurs du djihad et des martyres.

    Il suffit d'étudier une société <<>> des islamistes, l'Afghanistan gouverné par le Taliban, et de se rappeler que les hindous furent contraints à porter un insigne jaune, que des temples bouddhistes inestimables y furent détruits et que les femmes se virent refuser toute éducation fondamentale et tous soins de santé.

    Il suffit de voir autour de nous les cibles choisies par les chefs de file terroristes de l'islam radical pour comprendre que nous sommes tous dans la même situation, les pays musulmans modérés comme le Maroc, la Tunisie ou l'Indonésie, l'Europe, les États-Unis, Israël, et la liste se poursuit.

    Face à une telle menace, il ne sert à rien de se voiler la face ni de mener une politique d'apaisement.

    Il y a ceux qui suggèrent que, si seulement Israël pouvait résoudre miraculeusement le conflit avec les Palestiniens, comme si Israël toute seule pouvait le faire, alors le problème islamiste disparaîtrait. Cette pensée est non seulement fausse, mais elle est dangereuse.

    D'autres suggèrent que, si seulement les États-Unis quittaient l'Arabie Saoudite ou retiraient leurs troupes d'Irak, alors le problème islamiste disparaîtrait. Cette pensée, elle aussi est non seulement fausse, mais aussi dangereuse.

    Comme nous le savons trop bien, il existe dans l'histoire suffisamment d'exemples de conséquences fatales des politiques d'apaisement ou de refus de la réalité. Nous ne devons pas répéter les erreurs de l'histoire.

    Il faut affronter l'islam radical. Il faut le mettre en échec. La bataille ne sera pas courte, elle ne sera pas simple ni même unidimensionnelle. Oui, cette bataille comporte un aspect militaire, mais il existe aussi un aspect non militaire. Les forces de l'islam modéré doivent être renforcées par une stratégie politique, économique, culturelle et sociale soutenue et sophistiquée.

    Aucun pays n'est capable d'accomplir cela tout seul. Aucune région n'est capable d'accomplir cela toute seule. De nouveau, je reviens à mon premier thème. Nous avons besoin les uns des autres. Les efforts des uns complètent ceux des autres. Nous nous renforçons les uns les autres.

  3. Alors même que j'insiste sur ce qui devrait nécessairement nous unir, je suis profondément préoccupé par les perceptions divergentes qui prédominent aux États-Unis et en Europe à propos d'Israël.

    Nous savons bien qu'il est risqué de généraliser, mais je crains que la situation précaire d'Israël ne soit pas suffisamment comprise partout en Europe.

    Je ne suis pas certain de savoir si ce sont les gouvernements qui créent le climat médiatique ou si ce sont les médias qui créent le climat gouvernemental, mais le fait est qu'il existe un profond écart de perceptions, si je peux me permettre, entre l'attitude américaine dominante et l'attitude européenne dominante.

    La plupart des américains, comme l'indiquent les sondages de façon répétée, comprennent qu'Israël est confronté à une situation de vie et de mort, qu'il a essayé de marquer un jalon historique en signant un accord de paix sous le Premier ministre Barak, mais a trouvé dans le Président Arafat un partenaire réticent et indigne de confiance, et que la vague de terreur à laquelle Israël est confronté n'est pas différente de la terreur infligée aux États-unis le 11 septembre et qui a frappé d'autres pays depuis.

    De plus, la majorité des américains attachent de l'importance au fait qu'Israël est l'unique démocratie dans le Moyen-Orient, et qu'il s'agit d'une bataille asymétrique avec des forces non démocratiques qui, dans certains cas, continuent à mettre en doute l'existence même d'Israël, et que l'Amérique et Israël partagent certaines valeurs et perspectives essentielles. En outre, leur pays étant plutôt religieux, de nombreux américains voient Israël à travers le prisme de leur foi et de leur identité avec Israël, la Terre Sainte et le lieu de naissance non seulement du judaïsme mais aussi de la chrétienté.

    Dans de grandes parties de l'Europe, comme vous le savez, l'opinion est assez différente. Israël est représenté comme la puissance la plus forte, la puissance d'occupation, la puissance <<>>. Le bénéfice du doute ne profite jamais à Ariel Sharon. Dans cette optique, c'est à Israël qu'incombe le rôle de partenaire qui doit tendre la main dans tout processus de paix et qui, s'il ne le fait pas, est décrit comme faisant de l'obstruction.

    Et même lors des expressions de sympathie envers les victimes israéliennes du terrorisme, on insinue en Europe de manière subtile, ou en fait pas si subtile, que l'état d'Israël lui-même a provoqué ce désastre par le manque de vision de sa politique.

    De manière étonnante, lors de très nombreuses conversations en Europe, que ce soit avec des politiciens, des diplomates ou des journalistes, j'ai été frappé par l'immense abîme qui sépare ces perceptions. J'ai aussi été frappé par la certitude de nombreux de mes interlocuteurs, qui empêche toute conversation ouverte et constructive. En effet, j'ai perçu l'attitude suivante : <<>>

    Mais nous n'avons pas d'autre choix, n'est-ce pas, que de persister parce que le futur d'Israël est dans la balance et aussi parce que l'Europe est bien trop importante pour l'ignorer ou simplement faire une croix dessus.

    C'est pourquoi nous devons aider les autres à comprendre qu'il n'existe aucune formule simple ou nette pour résoudre le conflit, et qu'aucune école de pensée n'a toutes les réponses. Israël fait face à des dangers, de quelque côté que l'état se tourne, et on ne doit pas s'attendre à ce qu'il mette en péril sa propre existence parce que certains en Europe ou ailleurs s'impatientent au sujet de ce conflit ou bien estiment qu'il les distrait d'autres intérêts géopolitiques ou économiques plus importants.

  4. Et pour terminer, lorsque j'observe les relations transatlantiques, je suis préoccupé par une autre question qui semble diviser plus qu'unifier.

    Il n'y a pas de doute dans mon esprit que l'antisémitisme est une question plus importante en Europe aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a quelques années. Pas partout, bien sûr, mais dans suffisamment d'endroits pour la rendre perceptible. Un tabou a été soulevé. On entend plus fréquemment des expressions d'antisémitisme, parfois d'un caractère antisémite à peine voilé, même en bonne société.

    Il y a un peu de tout dans ce nouveau mélange : anti-américanisme, antisémitisme, anti Israël et même anti-globalisation. Dans certains cas, on trouve seulement un ou deux de ces ingrédients ; dans d'autres, il y a tous les ingrédients. Ce phénomène vaut la peine d'être observé, et pourtant certains voudraient dénier ou minimiser son existence.

    Traditionnellement, nous nous soucions de l'antisémitisme venant de l'extrême droite et de l'extrême gauche. Il existe suffisamment d'exemples des deux dans l'Europe d'aujourd'hui pour attirer notre attention.

    L'élément le plus récent, cependant, est devenu le plus inquiétant. Il s'agit de l'antisémitisme musulman émanant du sein même des communautés musulmanes grandissantes à travers l'Europe. À nouveau, je ne veux pas faire de généralisations radicales, mais, d'un autre côté, je ne peux pas refuser non plus de voir le problème.

    Des jeunes musulmans en Grande-Bretagne, cités par leur nom en première page du New York Times, appellent au meurtre des juifs, alors que nous connaissons des centaines d'incidents documentés contre des juifs en France. D'autres pays ne sont pas à l'abri non plus.

    Dans une Europe qui a créé une zone de valeurs humaines remarquables, ce développement est profondément troublant. Et ceux qui déclarent avec insouciance que tout ira bien lorsque le conflit israélo-palestinien sera résolu n'aident vraiment pas dans la situation actuelle. On ne peut ni rationaliser ni justifier une telle violence, qu'elle soit physique ou verbale, contre des juifs, quels que soient les événements qui se déroulent au Moyen-Orient.

    Jusqu'à présent, nous avons rencontré régulièrement un manque d'intérêt sur ce sujet lorsque nous l'avons soulevé lors de diverses réunions européennes. Ce qui pour nous juifs, en Europe, en Israël ou aux États-unis, est inquiétant, semble avoir peu d'intérêt pour beaucoup de gens ici en Europe, qui devraient être mieux avisés.

    On a beaucoup spéculé sur les raisons à cela. Les sociétés européennes jouent-elles simplement d'un antisémitisme subliminal ? Difficile à croire. Les sociétés européennes sont-elles en train de sacrifier les juifs sur l'autel de l'opportunisme politique afin de chercher à gagner la faveur du monde musulman ? Les sociétés européennes ont-elles peur de provoquer des minorités musulmanes déjà agitées dans leurs pays ? Les sociétés européennes sont-elles en train de <<>> aux juifs le fait qu'ils brandissent un miroir devant l'Europe et lui rappelle ses crimes par perpétration et par omission durant la Shoah ? Les sociétés européennes sont-elles simplement fatiguées d'entendre la <<>> des juifs, qui invoquent <<>> l'antisémitisme <<>> ?

    Quelles qu'en soient les raisons, je crois que le problème de l'antisémitisme, qu'il provienne de la communauté musulmane, de la droite, de la gauche ou de quelque combinaison, mérite qu'on y porte attention, et maintenant.

    Je crois ceci parce que les juifs, en tant que citoyens de sociétés démocratiques, méritent pour le moins l'entière protection de l'état, tout comme chaque citoyen.

    Je crois ceci aussi parce que, sans l'avoir sollicité, les juifs ont tenu deux rôles supplémentaires au cours de l'histoire.

    Premièrement, nous sommes devenus le test décisif de l'engagement d'une société dans des droits entièrement égalitaires, non seulement dans la loi mais aussi dans la vie quotidienne.

    Et deuxièmement, nous sommes devenus des <<>> proverbiaux. Nous avons développé un sixième sens qui nous alerte en cas de danger. Et le danger peut commencer avec les juifs, mais l'histoire a amplement démontré qu'il ne se termine jamais avec les juifs. L'antisémitisme est un cancer qui, s'il n'est pas traité, métastase et finalement attaque tout le corps.

  5. En résumé, je contemple les principaux défis auxquels nous faisons face - la bataille contre l'Islam radical, le combat pour la paix et la sécurité d'Israël dans un Moyen-Orient harmonieux et le besoin de combattre un antisémitisme émergeant - tous liés les uns aux autres. Tous ces défis menacent les juifs ; ils menacent tous les valeurs démocratiques et les sociétés démocratiques. Il ne s'agit pas d'une guerre privée des juifs ou d'Israël, bien que certains la considèrent ainsi. Il s'agit d'un combat plus vaste pour le genre de monde dans lequel nous tous choisissons de vivre.

    Pour ceux d'entre nous qui choisissent de vivre dans un monde gouverné par les valeurs démocratiques, la primauté du droit, la compréhension mutuelle entre différents groupes de croyances et une résolution pacifique des conflits, nous devons rester solidaires - au sein des communautés, au sein des pays, au sein des continents et par delà les océans.

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